The International 2016 : les équilibres

Par darwyn, le 18.08.2016

TI6 est achevé, il est temps de se pencher sur les équilibres du tournoi. La Chine a-t-elle dominé ? Quelle faction était la plus forte ? La version est-elle vraiment réussie ?

L'an dernier, un article bilan sur TI5 revenait sur trois idées reçues concernant les équilibrages, et leur tordait le coup. Maintenant que TI6 est bien terminé, reprenons les mêmes interrogations à propos de ce tournoi, en débutant cette fois par l'équilibre régional. Nous aborderons ensuite l'équilibre Radiant/Dire, pour terminer par un bref coup d'oeil sur les groupes.

NB : les données chiffrées sont issues de dotabuff.com et wiki.teamliquid.net. Les calculs ont été effectués par l'auteur. Les éventuelles erreurs dans lesdits calculs et dans la collecte des nombres lui sont entièrement imputables.

 

Quel équilibre régional à TI6 ?

Rien n'est plus faux que de résumer un International à son vainqueur, du type "EG a remporté TI5, donc TI5 était un bon tournoi pour l'Amérique et un mauvais pour les autres". En effet, TI5 a été un excellent tournoi pour les équipes chinoises en général, même si CDEC a perdu en finale, davantage que pour les équipes occidentales. (La démonstration en a été faite l'an passé.)

De la même manière, affirmer que The International 2016 a été une bonne année pour les équipes chinoises parce que Wings l'a remporté serait tout aussi réducteur : les choses sont beaucoup plus compliquées.

 

Le renouvellement dans les classements

L'analyse peut se mener à plusieurs niveaux, et tout d'abord en s'intéressant à la répartition des régions dans le top 8 de TI6. Il comporte deux équipes chinoises seulement (EHOME et Wings), deux équipes américaines (DC et EG), une seule équipe européenne (Liquid) et trois équipes asiatiques (Fnatic, MVP et TnC).

On est donc loin d'une présence écrasante de la Chine, surtout si l'on compare ce maigre résultat au nombre d'équipes chinoises parvenues dans le top 8 des Internationaux précédents : cinq en 2014 et 2012, quatre en 2015, trois en 2013 (qui avait déjà été un mauvais International pour la Chine). Il n'y a qu'à TI1 que la Chine n'avait placé que deux équipes dans le top 8, dans des circonstances particulières (certaines grandes équipes avaient refusé l'invitation de Valve, croyant à une arnaque).
 


Le graphique ci-dessus montre bien que la Chine n'a pas été une force écrasante dans cet International. De même, il amène à relativiser l'effondrement des équipes européennes : depuis TI3, celles-ci n'ont jamais représenté un contingent très important dans le top 8 d'un TI. D'ailleurs le nombre d'équipes occidentales dans le top 8 reste stable sur trois ans. The International 2016 n'a pas été particulièrement catastrophique pour les équipes européennes en comparaison des Internationaux précédents ; en revanche, il l'est si on le compare aux Majors de la saison écoulée.
 


En effet, dans les trois Majors, le nombre d'équipes européennes parvenues dans le top 8 s'est établi à des niveaux élevés (celui de TI3), avec même un record lors du Major de Shanghai. Il faut dire que ce dernier tournoi détonne : l'absence d'équipe chinoise dans le top 8 fait de lui une anomalie, corrigée d'ailleurs dès le Major de Manille.

L'impression d'une domination des équipes européennes sur la saison 2015-2016 a été renforcée par la composition des finales des trois Majors : elles ont systématiquement opposé deux équipes européennes entre elles (OG-Secret, Secret-Liquid, OG-Liquid). C'est pour cela que The International 2016 apparaît comme un échec pour les équipes européennes alors qu'en soi, en comparaison des TI précédents, cela n'est pas spécialement le cas.

Quoiqu'il en soit, The International 2016 a été plutôt un mauvais crû pour les équipes chinoises, un crû très médiocre (dans l'absolu) pour les équipes européennes : ce sont donc les deux autres scènes qui ont brillé, alors qu'elles sont traditionnellement au second plan. La scène SEA s'en tire particulièrement bien dans cet International avec trois équipes dans le top 8, ce qui est une première, tandis que la scène américaine atteint son meilleur niveau hors du Major de Shanghai (qui, en raison de la volatilisation des équipes chinoises, n'est pas représentatif).
 


Si l'on s'intéresse non plus au top 8 mais au top 4 des Internationaux, il est très clair que TI6 n'a pas été dominé par la Chine : à la différence des précédents, il n'y a qu'une équipe chinoise dans le top 4. Bref, Wings ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt, les équipes chinoises ne se sont pas très bien tirées de ce TI, contrairement à ce qui s'est produit en 2014 et en 2015.

 

Rappelons les principales conclusions qui peuvent être tirées de ce long laïus :

  • en dépit de la victoire de Wings, les équipes chinoises ont dans l'ensemble réalisé un tournoi médiocre ;
  • par rapport aux Internationaux précédents, les équipes européennes n'ont pas particulièrement raté le tournoi ; en revanche, si l'on compare aux trois Majors de la saison, elles se sont totalement plantées ;
  • ce sont les équipes des régions Amérique et surtout SEA qui ont fait un beau TI, ce qui constitue une rupture par rapport aux années précédentes.

 

Les performances dans le tournoi

Si l'on s'intéresse désormais non plus au classement mais aux résultats des équipes de chaque région contre celles des autres régions, la vision change quelque peu :
 

  Amérique Asie (SEA) Chine Europe Total Pourcentage de victoire contre les autres régions Pourcentage de victoire contre les autres régions à TI5
Amérique - 10 - 5 16 - 11 10 - 5 36 - 21 63,2 64,3
Asie (SEA) 5 - 10 - 10 - 12 16 - 12 31 - 34 47,7 26,7
Chine 11 - 16 12 - 10 - 25 - 11 48 - 37 56,5 62,0
Europe 5 - 10 12 - 16 11 - 25 - 28 - 51 35,4 45,2


L'idée d'un tournoi réussi par les équipes SEA n'émerge guère de ces données : on s'attendrait à avoir des résultats assez proches de ceux des équipes européennes à TI5. De même, avec ce panorama général, il semblerait que les équipes chinoises aient mieux réussi que les équipes SEA.

En effet, ces données agrègent les résultats des phases de groupe, du Wildcard et du Main Event. Or les performances de certaines équipes ont beaucoup divergé entre les groupes et les Playoffs, à la hausse (Fnatic par exemple) ou à la baisse (OG). Il faut donc distinguer ce qui s'est passé avant le 6 août et après le 8.
 

  Score contre les équipes d'autres régions (Wildcard + Group Stage) Pourcentage de victoire contre les autres régions (Wildcard + Group Stage) Nombre d'équipes en Winner et Loser Bracket Score contre les équipes d'autres régions (Main Event) Pourcentage de victoire contre les autres régions (Main Event)
Amérique 22 - 13 62,9 2/0 14 - 8 63,6
Asie (SEA) 20 - 27 42,6 1/2 11 - 7 61,1
Chine 35 - 24 59,3 3/2 13 - 13 50
Europe 25 - 38 39,7 2/4 3 - 13 18,8


A l'issue des phases de groupe, l'Europe semblait certes derrière, mais pas tant que ça par rapport aux équipes de la zone SEA. Les deux régions plaçaient moitié moins d'équipes dans le Winner Bracket que dans le Loser Bracket. En revanche dès ce moment-là, les équipes américaines sortaient du lot.

Au cours du Main Event, on a assisté à un effondrement complet des équipes européennes : une seule d'entre elles, Liquid, a gagné un match dans les Playoffs (deux, en réalité). Au contraire, les équipes SEA ont toutes remporté au moins un match (jusqu'à quatre pour Fnatic). Et, bien entendu, il est plus important de remporter des matchs dans le Main Event que pendant les phases de groupe : voilà comment, de résultats assez proches à l'issue de ces dernières, on est passé à un classement complètement différent à la fin du tournoi.

 

Résumons :

  • l'effondrement des équipes européennes s'est produit avant tout dans le Main Event ;
  • les équipes SEA ont réussi au moment crucial, lors du Main Event ;
  • les équipes chinoises n'ont pas fait un très bon tournoi, contrairement aux équipes de la scène NA.

 

Les éliminations

 

  Amérique Asie (SEA) Chine Europe
Amérique DC > EG DC > TnC, Fnatic DC > LGD, EHOME -
Asie (SEA) - Fnatic > MVP TnC > VG.R Fnatic > Escape, Alliance, Liquid
TnC > OG
Chine Wings > DC - - LGD > Secret
Europe - - Liquid > NewBee Liquid > Na`Vi


Les équipes européennes du tournoi se sont surtout fait éliminer par les équipes SEA, Fnatic avant tout. DC a pour sa part purgé le Loser Bracket. Les équipes chinoises ont éliminé peu de monde, puisqu'elles ont quasiment toujours perdu dans le Loser Bracket ; Wings n'ayant pas mis les pieds en Loser Bracket, elle n'a éliminé que DC lors de la finale.

Ce tableau met en avant le fait que peu d'équipes différentes ont réussi à progresser dans le Loser Bracket, ne serait-ce que sur un seul match : il n'y a que cinq équipes qui ont gagné au moins un match en Loser Bracket, en sachant que quatre gagnaient automatiquement au tour 1. Il faut dire qu'une seule équipe qui a débuté en Winner Bracket a réussi à ne pas se faire éliminer dès sa tombée en Loser Bracket (il s'agit de DC).

Il n'y a pas forcément beaucoup d'enseignements à tirer de ces informations, si ce n'est pour avoir la confirmation que les équipes SEA ont clairement mieux réussi le Main Event que le reste du tournoi.

 

Radiant contre Dire

Quel côté de la carte a dominé cet International ? Selon une infographie de Toornament.com (le calcul n'a pas été refait pour vérifier !), le Dire a remporté 53,5 % des parties, le Radiant seulement 46,5 %. L'avantage est donc au Dire. Cependant il faut constater que le différentiel est seulement un peu plus élevé qu'à The International 2015 (le Radiant avait 47,7 % de victoires, le Dire 52,3 %), et qu'il n'a en soi rien d'exceptionnel, puisque le Dire a traditionnellement de meilleurs taux de victoires (entre autres grâce à un meilleur accès à Roshan).

Surtout, par rapport au Major de Manille, joué en juin 2016, l'avantage écrasant du Dire a fondu : le Dire y avait gagné 65 % du temps ! La version 6.88 a donc significativement contribué à réduire l'écart entre les deux côtés de la carte, alors que le seul changement directement lié à ladite carte relève de l'expérience obtenue lorsque l'équipe adverse pull les monstres hors de la ligne. Les petits ajustements effectués par Icefrog semblent finalement avoir suffi pour faire disparaître une situation problématique.

D'ailleurs, si le Dire a dans l'ensemble plus gagné, il est intéressant de constater que les deux équipes parvenues en finale sont deux équipes qui ont privilégié le Radiant tout au long du tournoi. Wings est même l'équipe qui, en arrivant à Seattle, avait le plus fort tropisme pro-Radiant : sur les trois mois précédant TI6, elle jouait plus de sept parties sur dix en Radiant !
 


Sur l'ensemble du Main Event, le ratio de victoires est largement en faveur du Radiant : 27 victoires, contre seulement 20 pour le Dire, soit 57,4 % de victoires pour le Radiant. Le Dire a donc mieux fonctionné pour les équipes dans les poules, mais la tendance s'est inversée nettement ensuite. Les trois équipes parvenues en haut du classement ont eu des résultats nettement meilleurs côté Radiant : Wings est à 8-0 en Radiant, DC à 9-2, tandis que les quatre défaites de EG ont toutes été enregistrées sur le Dire.

Il faut prendre garde à ne pas surinterpréter ces données : autant il est probable que le Dire disposait d'un trop fort avantage lors du Major de Manille, autant il semble difficile de conclure à un avantage clair pour un côté de la carte à TI6. Est-ce que les équipes pro-Radiant ont mieux fonctionné dans le Main Event parce qu'elles ont su trouver les points forts du Radiant ? Ou est-ce que les statistiques du Radiant sont meilleures tout simplement parce que les équipes pro-Radiant ont été meilleures que leurs adversaires ? On se gardera bien de trancher l'éternel débat entre la poule et l'oeuf.

 

Des groupes assez correctement répartis

Concluons ce tour d'horizon des équilibres en jetant un oeil rétrospectif aux groupes. L'an dernier, le groupe B avait clairement un niveau moyen supérieur à celui du groupe A, ce qui s'était senti avec l'élimination rapide de presque toutes les équipes de ce dernier.
 

Rang Equipe Groupe d'origine Bracket
1 Wings A Winner
2 DC B Winner
3 EG A Winner
4 Fnatic B Loser
5-6 MVP
EHOME
B
B
Winner
Winner
7-8 Liquid
TnC
B
A
Loser
Loser
9-12 NewBee
Alliance
OG
LGD
B
A
A
A
Winner
Winner
Winner
Loser
13-16 Secret
Escape
VG.R
Na`Vi
B
A
B
A
Loser
Loser
Loser
Loser


Il n'y a pas eu cette année de déséquilibre particulièrement prononcé : l'an dernier, l'écart entre le rang moyen des équipes du groupe A et du groupe B était de 2,5 places. Cette fois, le même écart n'est que de 1 (rang moyen des équipes du groupe A : 9, du groupe B : 8), ce qui est nettement moins significatif. Certes, il y a un peu plus d'équipes du groupe B dans le top 8, mais deux équipes du top 3 proviennent du groupe A.

En somme, la répartition des groupes dans cet International s'est avérée plutôt réussie. Il pouvait d'ailleurs sembler avant que le tournoi ne commence que le groupe A était plus relevé, cela n'a pas été le cas.

 

Un prochain article reviendra (si possible brièvement !) sur la méta et les héros du tournoi.